J'ouvre les yeux. Je vois. Je vois tout.

Éblouie par les quelques lumières au plafond, allongé sur cette table, je m'éveille enfin. Ma peau est pâle, même si bien moins que lors de mon retour. Mes yeux ont retrouvé leur couleur et si quelques veines noires quadrillent encore mon corps, je ne les sens plus vraiment. Elles étaient partout, maintenant elles sont éparses, peu nombreuses. Vestiges d'une angoisse qui s'estompera sous peu.

Avec lenteur, sentant la tension qui presse sur mon cerveau, je me redresse. Je me place en position assise, encore confus. J'observe mes mains, mes jambes. - Legs. Love my legs. - Murmuré-je en posant mes mains dessus, en les tâtant pour m'assurer qu'elles sont bien là. Et elles sont bien là. Fatiguées.

Je pivote, m'asseyant au bord de la table de reconstitution. Je ne sens aucun tissus synthétique. La machine n'a rien fait. Elle ne pouvait rien faire. Je n'étais pas blessé. Mon corps s'était naturellement adapté à mon environnement, répondant à mes gênes et à la mutation. Ce n'est pas que mon corps était malade. C'est qu'il réagissait à l'environnement différent. Et devait se réadapter. Il n'y est pas encore totalement, mais assez pour que je puisse me sentir mieux. Et lui...

Face à moi, Spencer est endormis sur une chaise. Quelle heure est-il? Depuis combien de temps suis-je allongé-là? Combien de temps suis-je resté dans le Néant cette fois? Mon regard se porte sur l'écran de la machine, qui clignote d'une façon différente de d'habitude. - Je vais bien... - Soufflé-je à l'attention du Tardis que je sens inquiet. - Combien de... - L'écran grésille et affiche un très net "83" en gallifreyen, avant de reprendre son affichage normal. Ma respiration se coupe un instant. Mes yeux se ferment. Combien de temps devrais-je encore sacrifié au Néant...

Je peine à compter les heures et les jours qui ont pu s'écouler depuis que j'ai réussi à nous conduire dans le Tardis, depuis que j'ai posé le Professeur sur cette table dans l'espoir qu'elle ferait un miracle comme elle a pu en faire avec moi par le passé. Passant mon temps à errer dans cette boîte entre la cuisine où j'arrivais à lentement reprendre un rythme plus normal de consommation de mes aliments et ma chambre où j'essayais tant bien que mal de récupérer l'énergie qui me faisait encore tant défaut. Je ne savais pas davantage le nombre de temps que j'avais passé là-bas, blessé et fiévreux, à croire ma mort arrivée. Simplement que le temps avait suffisamment passé pour me laisser dans un sale état faisant relever du miracle le fait que je tienne encore sommairement debout et encore davantage du miracle que nous ayons été en mesure de nous en sortir. Ce qui s’est passé? Je ne serai pas même en mesure de l’expliquer tant tout de ce moment me semble irréaliste et flou, sans doute éclipsé de mon esprit tout comme l’adrénaline en est venue à s’éclipser de mon corps lorsque j’ai enfin pu m’effondrer dans un coin. Profitant de cet espace que je dois nommer ‘ma chambre’ pour prendre le temps de farfouiller dans mes affaires ‘humaines’ où j’ai pris le nécessaire à soigner et désinfecter cette vilaine blessure ainsi que les cachets nécessaires à la survie de mon pauvre corps bien malmené depuis que j’ai rencontré le Professeur. Surtout depuis qu’il m’a foutu une frousse bleue, deux fois, à mourir, ou au moins disparaître, devant mon regard sans que je n’arrive à faire quoi que ce soit. Sans que je n’arrive à le protéger et l’empêcher. À chaque fois, c’est lui qui arrivait toujours à me sauver sur la finalité et je commençais sérieusement à me demander mon rôle dans tout ceci alors que visiblement mon entraînement militaire humain ne suffisait pas à cette infinité spatiale dont je ne connaissais rien du tout. Pas les espèces, les coutumes ou les planètes et ce qu’on pourrait y trouver. Pas les armes ou les actes à poser pour m’en servir ou les éviter. J’étais, en ces terres inconnues, la chose la plus fragile qui pouvait exister. La preuve étant que même en ayant perdu le compte, je savais avoir eu besoin de plusieurs jours pour me remettre de mon état. Tout comme le Professeur, aux pieds duquel je finissais toujours pas m’assoupir, mais lui avait l’excuse d’avoir disparu dans ce…. vide glacial que je ne saurais nommer autrement.

Cette journée n’était donc pas différente des précédente et si j’avais été en mesure de reprendre quelques couleurs, ingurgiter un café et manger quelques bouchées, j’en étais tout de même venu à m’endormir à ses pieds dès lors que j’avais posé mon cul sur cette chaise. Non sans lui avoir jeté un coup d’oeil en soupirant, ne sachant comment savoir si cette table faisait réellement quoi que ce soit et ne parlant pas ‘le Tardis’ à proprement parlé. On a vu ce que ça a donné de toute façon notre dernière ‘discussion’. C’est en entendant un léger grésillement que j’ouvre finalement difficilement les yeux, les frottant du bout des doigts avant de les poser en direction de la table où je vois le Professeur assis. Ouvrant grand les yeux, sautant d’un bond pour me diriger dans sa direction, je me place devant lui en l’observant avec insistance. « Professeur? Vous… allez bien? » Enfin, bien compte tenu des circonstances j’imagine. « Je ne savais pas comment vous aider alors je me suis dit que cette... chose pourrait peut-être. Vous vous sentez mieux? » Inquiet? Moi? À peine...

Professeur? Vous… allez bien? - Il vient de bondir sur son fauteuil comme si quelque chose venait d'exploser, mais ce n'est que moi. Il se rapproche et à peine est-il à portée de main que j'attrape son bras. La cicatrice? Oui, je la vois, mais ce n'est pas pour ça que je le tiens. Pas pour ça que je le touche. - Je ne savais pas comment vous aider alors je me suis dit que cette... chose pourrait peut-être. Vous vous sentez mieux? - D'un geste un peu brusque, je l'attire contre moi en me redressant. J'ai les lèvres pincés, les yeux humides et le regard rivé vers un mur alors que mes bras le piègent. Il est bien réel. Son corps, je peux le sentir. Sa chaleur comme les battements de son corps. Il est bien là... et moi aussi. J'en tremble, mais je n'ai plus aucune raison de m'en cacher. Il m'a vu lorsque j'ai disparu. Il a vu l'état de terreur qui m'avait alors saisi. Et maintenant? Le soulagement. Un intense soulagement.

Tu es vraiment là... - Je le lâche finalement, essuyant mes yeux mouillés en vitesse. Son visage à lui parait blafard, les traits tendus par une fatigue tenace. Il en a bavé aussi. J'ai même été aux premières loges pour le constater. À l'écran qui affichait ce nombre, désormais tout est revenu à la normale. Mes constantes sont listées en direct, chaque battement de mes deux cœurs piquant la ligne droite et blanche qui défile inlassablement. - Je... Je vais bien. Je vais mieux. - Cette pièce devient un peu trop souvent notre zone de prédilection même si, dans ce cas précis, elle ne m'a pas été utile. La machine ne m'a rien fait. - Et toi? Tu as l'air fatigué. - Je croise son regard, lit dans ses yeux... - Depuis combien de temps est-ce que tu me... veilles?

Je n’ai pu empêcher la grimace s’affichant sur mon visage lorsqu’il pris mon bras sans un mot alors que je me plaçais devant lui pour le questionner sur son état actuel, la blessure toujours un moindrement sensible malgré le temps ayant passé. Je soupçonnais d’ailleurs l’infection qui s’y était installée pour expliquer cette sensibilité persistante à laquelle je n’ai pas accordé plus d’attention que nécessaire, l’état du Professeur étant bien davantage important que ce soucis dont je m’étais déjà occupé. J’ai donc poursuivis le flot de mes propos, lui expliquant la raison pour laquelle il se trouvait sur la table en cet instant. Sa réaction ne fût pas réellement celle à laquelle je m’attendais, je dû bien l’avouer, brusquement attiré dans la prise de ses bras et fixant le mur derrière-lui d’un regard exprimant ma surprise. Devrais-je dire quelque chose ou est-ce que me contenter de poser une main dans son dos pour le tapoter suffira en cet instant que je ne sais réellement comment décrire? Il est heureux de me voir? Content que je l’aie placé là? A-t-il froid à trembler ainsi? Est-il simplement… étrange? Sans qu’il n’ouvre la bouche disons qu’il est un peu difficile de comprendre la raison de sa réaction que je dois sans doute finalement mettre sur le compte du ‘heureux’ lorsque finalement il parle. « Je… oui? Je suis là… »

J’observe son visage lorsqu’il se détache finalement de moi, ses yeux humides me faisant froncer tristement les miens. Est-ce que c’est cet endroit, celui d’où je l’ai vu s’échapper, qui a un tel effet sur lui? Croyait-il rêver comme j’ai cru le faire également lorsque j’ai entendu sa voix dans la cellule et que les portes se sont ouvertes comme par magie? Je soupire tout de même de soulagement lorsqu’il mentionne mieux se porter, c’est ce qui m’importe réellement. Le perdre encore… J’ai de bons nerfs, je crois l’avoir prouvé plus d’une fois, mais même moi j’ai ma limite et je sais pertinemment que l’atteindre ne serait pas pour le mieux. « Je suis contente de l’entendre. » Je souris, brièvement, avant qu’il ne mentionne ma fatigue apparente qui ne ment pas. « Ne vous en faites pas pour moi, ça ira. Je m’inquiète bien davantage pour vous. Vous avez été inconscient… un bon moment. Je ne pourrais pas dire durant combien de temps, j’ai perdu un peu le fil des jours moi-même, mais plusieurs jours ça c’est certain. » Le fixant ainsi, debout, je me dis qu’il vaudrait sans doute mieux pour lui s’asseoir un peu. « Vous… voulez manger ou boire quelque chose? Vous devriez au moins vous asseoir… » Et ce qui s’est passé durant tout ce temps? Oh non je n'allais pas forcer la discussion. Nous avions amplement le temps d’en parler et je ne voulais pas non plus lui rappeler ce qui a eu cet effet ahurissant sur sa personne. Ses cheveux… Je n’avais pas même remarqué le grisé de ses cheveux...

Des jours. Rien de surprenant, et pourtant c'est une information qui me travaille instantanément. Des jours allongés-là. Des jours pour me remettre. Et si je sens encore l'énergie noire dans mes cellules, je sais qu'il me faudra encore quelques jours supplémentaires pour pleinement m'en débarrasser. - Vous… voulez manger ou boire quelque chose? Vous devriez au moins vous asseoir… - Ça va. Le Tardis est en train de faire tout le boulot. - Un regard vers lui et un faible sourire étire mes lèvres. - Je suis affamé. - Tout ce temps sans manger, ce n'est pas si étonnant.

La direction de la cuisine est donc prise. Le trajet est lent, je dois bien l'admettre, et j'utilise les murs comme appui à plusieurs reprises. - Ça va. - Lui ai-je dis plus d'une fois. Je n'ai pas mal, jamais avec le Néant, mais mon corps a besoin de temps. Du temps pour retrouver ses forces. Je suis malgré tout capable de fonctionner, à un rythme plus léger. C'est tout. De nouvelles escapades ne sont pas à prévoir pour tout de suite, ça c'est certain.

Hmm... - La lumière solaire de l'astre artificiel me surprend lorsque j'arrive dans la cuisine, ses rayons frappant la pièce sans discernement. Les yeux se ferment, les paupières se plissent, et puis ma peau s'en nourrit et je soupire. Pour la première fois depuis... depuis... Je ressens la chaleur. De gestes hésitant malgré tout bien conscients, j'active la machine à café et laisse le distributeur inter-dimensionnel matérialiser un copieux petit-déjeuner constitué d’œufs et de bacon, de toasts et de fromage. Je ne sais pas si c'est le matin, mais c'est bien le matin quelque part. Pendant que ça tourne, sans un mot, j'ouvre plusieurs tiroirs et finis par trouver mon bonheur. Le distributeur sonne, comme un micro-onde ayant fini son oeuvre, mais avant d'y retourner je tends à Spencer ma trouvaille: des lunettes 3D. - Met ça.

Les lui laissant, je récupère mon assiette fumante et appétissante, mon café, et m'installe à l’îlot pour manger sans attendre. La première bouchée est comme miraculeuse et mon estomac m'en remercie. - Damn, ça fait du bien...

Le Tardis fait tout le boulot, voilà ce qu'il me répondit lorsque je lui ai demandé s'il voulait manger, boire ou au moins s'asseoir. Quel boulot exactement cette boîte réalisait-elle sans que je ne sois à même de le voir? Encore l'un des nombreux mystères de cette entité semblant presque vivante qui en venait à tous les coups à m'échapper, moi et mes trop faibles connaissances en matière de Tardis et bien d'autres choses dans ce monde où j'évoluais pourtant depuis un bon moment maintenant. La formation en 'mystères de l'espace' me semblant presque devenir une nécessité auxquels les soldats sur Terre devraient peut-être un jour se plier. De quoi ajouter à cette affection toute particulière qu'ils me portaient depuis que je leur avais 'subtilisé' le poste sans qu'ils n'aient leur mot à dire. « Allons manger dans ce cas. » Ajoutais-je finalement lorsque le Professeur mentionna être affamé. J'imagine que la chose était rassurante un minimum, bien que je me demande si son corps devait user d'une alimentation progressive tout comme j'avais dû le faire pour ne pas être malade à trop manger après ne pas l'avoir fait durant... oh je ne sais combien de temps. Restant près de lui, je le laisse se diriger à son rythme vers la cuisine en me tenant prêt à l'aider au besoin malgré les 'ça va' qu'il me lance presque systématiquement. Il ne peut pas m'en vouloir de m'inquiéter pour lui après tout. Je n'insiste tout de même pas davantage que nécessaire, même si j'ai cette impression que son orgueil ne le fera pas me demander de l'aide si le besoin se fait sentir. Ayant encore un peu de mal à le jauger parfois.

Arrivant dans la cuisine, je vais m'asseoir sans pour autant le quitter des yeux. Hésitant à me prendre un nouveau café pour faire passer la fatigue persistante me vrillant le corps. Je me contente simplement de me frotter les yeux en observant ce qu'il fait, ses gestes, ses choix et tâchant de ne pas m'arrêter à ce détail qui me triture pourtant l'esprit. Que s'est-il passé durant tout ce temps? Que s'est-il passé lorsqu'il a disparu, mais surtout où a-t-il disparu? Aurait-il pu... « Hum? » Je prends les lunettes qu'il me tend, ayant cette étrange sensation de remonter plusieurs années en arrière en voyant ce vieux modèle de lunettes 3D qu'il me tend. « Et je dois mettre ça parce que...? » Débutais-je tout en les enfilant avant de voir... J'aurais bien du mal à exprimer ce que je vois à dire vrai. Une infinité de particules semblant émaner de lui pour aller je ne sais où. « Qu'est-ce que c'est? » Demandais-je donc tout bêtement à défaut d'avoir une réponse concrète à ce questionnement. « Ces choses qui volent dans l'air. »

Qu'est-ce que c'est? - Voilà le fond de la question. Enfin, question pour lui. Moi je sais déjà ce qui se passe. - Ces choses qui volent dans l'air. - Void particles. - Le laisser cogiter? Non. Le temps de ce petit jeu est passé depuis longtemps.

Ce qu'il voit, ce sont d'innombrables points sombres et verts qui émanent de mon corps, flottent et convergent en une spirale vers le plafond. - Le Void est l'espace entre les univers. Un néant absolu, infini. Colle tes mains l'une à l'autre, il s'agirait de cette infime ligne de contact. Mais à l'échelle des univers. - Je bois une gorgée de café, avale un peu de nourriture. Je voudrais dévorer cette assiette, mais je tiens également à tout lui expliquer. Lui aussi a dû souffrir de cette captivité, il mérite des réponses. - Ce que tu observes, c'est l'énergie résiduelle du Void, qui se trouve dans mon corps. Normalement, elle devrait y rester, flotter autour de moi comme une aura. Mais le Tardis l'absorbe en ce moment-même. Il m'en purge, si tu préfères. C'est à cause d'elle que je suis si pâle et si froid. Que je me sens si faible.

Un peu plus nourriture. Un peu plus de café. Le liquide chaud me fait du bien, mais y en aura-t-il jamais assez? - C'est une radiation qui s’imprègne dans les objets qui traversent les univers. Si je t'avais emmené dans un univers parallèle, tu en serais le réceptacle aussi, mais... Tu ne la sentirais pas. - Et moi non plus. Pas si on avait juste fait le voyage à bord du Tardis. - C'est là que j'étais. Dans le Void. L'instabilité dimensionnelle du château, avec tout ces portails... Mon corps y a été rappelé. Je n'ai rien pu faire. - Sur ma peau court une ligne noire, comme celles qui me grignotaient lorsque nous étions encore dans le château. Elle remonte le long de mon bras, disparaît sous mon t-shirt et réapparaît dans mon cou avant de disparaitre. Via les lunettes, Spencer aura probablement vu une particule s'en envoler. Elles ne se voient pas toutes ainsi, mais je suppose que certaines font à l'évidence cet effet. - Ça va, ce n'est rien. Ça devrait durer ainsi, le temps que mon corps soit totalement débarrassé des radiations.

Void, néant absolu, infini, radiation... tant de mots qu'il mentionne les uns à la suite des autres en mangeant comme si de rien n'était alors que j'observe d'un douloureux mélange de fascination et horreur les infimes particules s'élevant dans les airs au-dessus de lui. Des particules que son corps a semble-t-il absorbé dans ce néant, ce 'void', dans lequel il se trouvait alors que j'imaginais le pire. En un sens, je ne peux m'empêcher de continuer de le penser, de penser que cet endroit est au plus près de ce que j'ai pu imaginer. La mort me semble après tout n'être d'un vide, un néant aussi absolu et infini dont il est impossible de s'échapper, un énorme 'rien' qu'on ne peut qu'observer pour l'éternité. Et si la mort en soit ne m'a jamais réellement effrayé, ayant fait la paix avec le fait qu'elle en viendra inévitablement à cogner à ma porte un jour ou l'autre, la perspective de fixer un vide infini me soutire bien un large frisson que je me doute ne pas être contenu au mieux compte tenu de mon niveau de fatigue. Autre facteur avec lequel j'ai également fait la paix depuis un moment, ce fait que mon corps manquera toujours de quelque chose à un moment ou un autre et que je devrai faire sans si je veux continuer d'avancer. Une ligne de pensée qui m'a peut-être sauvé les miches dans cette prison où j'étais coincé il y a encore si peu.

« Et comment avez-vous été en mesure d'en sortir? » La question se pose, non pas uniquement par curiosité, mais également pour le côté pratique de la chose si la situation devait se reproduire de nouveau à un moment ou un autre. Puisque au-delà de la panique, la crainte et le besoin viscérale de le protéger à tout prix, il y a la nécessité d'approfondir mes connaissance de toute cette merde dans laquelle je suis plongé bien profond pendant encore de nombreuses années ou du moins j'ose l'espérer. « Il vaut sans doute mieux ne plus me laisser en charge de trouver la destination désormais. Je crois que votre Tardis et moi ne sommes pas encore sur la même longueur d'ondes. » Que j'ajoute en souriant vaguement. N'est-ce pas dans ce type de situation que l'expression 'il vaut mieux en rire qu'en pleurer' prend justement tout son sens?

Et comment avez-vous été en mesure d'en sortir? - J'avale un gros morceau de toast. Trop gros, de quoi gonfler mes joues assez exagérément, mais je ne m'en formalise pas. - Il vaut sans doute mieux ne plus me laisser en charge de trouver la destination désormais. Je crois que votre Tardis et moi ne sommes pas encore sur la même longueur d'ondes. - Tu n'es pas responsable. Le Tardis est simplement tombé dans un point fragilisé par les portails. Fâcheux incident pour nous, mais ni toi ni moi, ni même le Tardis ne sommes en cause. - Je bois une gorgée de café pour apaiser ma gorge irrité. Mes lèvres se pincent. - Ces gens sont responsables. Je ne sais pas qui ils sont, ni pourquoi tes alter ego étaient là, mais je t'assure que je ne compte pas laisser ce mystère dans l'ombre. - Et j'enfourne un bout de bacon, énergiquement.

Mais pour te répondre... - Dis-je en mâchant, avant d'avaler. - La dernière fois je ne savais pas vraiment comment m'y prendre, et techniquement, c'était proprement impossible de sortir par moi-même. La situation est différente maintenant, vu que le Void m'a fait.. évoluer, d'une certaine manière. J'ai simplement dû attendre, le temps d'être capable d'ouvrir une faille pour revenir. Je te parlais pendant les prémices de la faille. J'étais... Dans un entre-deux. - L'assiette se vide. La tasse aussi. La seule chose, pourtant, à laquelle je pense, c'est ce que je viens de dire et les traits du visage de Spencer qui se sont tendus. - Non, c'est pas la première fois que je m'y retrouve piégé...

Je soupire, sentant les vieux souvenirs, pas si vieux que ça, revenir envahir ma mémoire. Et machinalement, je me redresse. Je n'ai pas fini de manger, mais je  ne peux pas faire les deux en même temps. Pas avec cette histoire. - Une vieille querelle avec la famille royale d'une civilisation alien, qui a pris des proportions faramineuses. Je me suis planqué sur Terre à cause de ça, bien avant le crash et notre rencontre. - Sans vraiment y penser, je me lève. J'attrape la tasse de café, plus pour m'occuper les mains que pour vraiment le boire. - Je les ai fuis pendant... longtemps, au point qu'ils ont réalisé que simplement me pourchasser ne marcherait pas. Alors ils m'ont tendu un piège. Un homme, dans l'Antiquité, atteint d'une multitude impressionnantes et incohérentes de pathologie psychologique. Je n'ai pas pu résister, je l'ai pris avec sous mon aile. Il a vécu ici avec moi pendant plus d'un an, à ne faire que de maigres victoires. J'ai réussi à apaiser ses angoisses, à le rendre plus sociable, moins... effrayé. J'ai même réussi à éliminer la majorité de ses symptômes hallucinatoires, mais j'étais loin du compte. - Je bois une gorgée. - Et puis, un jour, il nous a emmené dans un endroit. Une embuscade. Ils m'attendaient, et je n'ai rien pu faire. Ils m'ont assommé et emprisonné dans leur plus profonde cellule.

Il n'y était pour rien. Ils lui avaient complètement bousillé le cerveau entre manipulation chimique et psychologie. Ils l'ont reconditionné et brisé. Enfin... Ils m'ont gardé captif pendant... un certain temps. Ils voulaient que je construise quelque chose pour eux. Une arme. Et ils avaient de convaincants arguments, alors je l'ai fais. Jusqu'à réaliser de quoi il s'agissait. Un canon de réalité. Une arme capable de vaporiser le moindre organisme vivant dans tout un système solaire. - Je pose la tasse dans un claquement. Encore maintenant, je me dis que j'aurais dû le voir venir. J'aurais dû anticiper toute cette merde... mais à l'époque j'étais plus curieux. Trop curieux. Trop... jeune? - Ils n'ont jamais voulu tuer leur agent infiltré, alors aussitôt sa mission, ils l'ont guéri et luis ont rendu son esprit, intact et sain. Leur erreur a été de ne pas le ramener chez lui immédiatement, car il est venu me libérer. Plus d'un an avec moi. Il n'en a pas oublié une seule seconde. Alors j'ai fais la seule chose que je pouvais faire à ce moment-là: je l'ai piégé dans le Tardis, destination loin de là, et j'ai amorcé l'auto-destruction du canon.

Je me souviens de son visage, lorsque je lui ai dis d'aller dans le Tardis. Qu'il devrait y faire cette chose vitale, pour aider et venir me chercher. Alors que je lui disais, en vérité, d'actionner le décollage d'urgence. Alors que je le sauvais. Alors que je lui mentais. Je pointe un doigt vers le plafond. - Il l'a forcé à trouver une solution, mais mon TARDIS n'avait qu'une seconde pour agir. Alors il m'a catapulté dans le Void au dernier moment. À la seconde où le canon explosait et vaporisait toute vie sur la planète. - Je baisse les yeux. Ma main tremble. Une ligne noire y court et se meurt entre deux doigts. - J'y suis resté, piégé dans le néant, jusqu'à ce qu'on vienne m'en sortir.

Pourquoi est-ce que lorsqu'il mentionne ne pas vouloir laisser ce mystère dans l'ombre la seule chose s'imposant à mon esprit est cette armée de 'moi' assez perturbante pour ne pas forcément me donner envie d'en apprendre davantage? Cette armée de facettes de ce que mon existence aurait pu être si j'avais emprunté de nouveaux chemins, vécus de nouvelles expériences. Du moins, si j'ai bien compris tout ce fouillis se terminant en un gros flou que l'adrénaline m'a, semble-t-il, fait oublier partiellement, mon corps à se moment davantage contrôlé par mon instinct de survie que par une quelconque forme de logique. Ce n'est pas important pour le moment de toute façon, pas autant que ses paroles que j'écoute avec attention même si j'ai ce sentiment de n'arriver à enregistrer qu'un mot sur deux. Tant de temps passé et tant de choses que je ne comprends pas encore. « Je me souviens avoir entendu votre voix oui... Je croyais rêver. » Et ça se comprend quand on est coincé dans une prison sur une planète inconnue avec une armée de clones, avec une infection comme si ce n'était pas assez. Rien de plus normal que laisser le cerveau s'évader sur le long fleuve tranquille des hallucinations.

Je l'écoute mentionner que ce n'est pas la première fois qu'il s'y trouvait coincé, expliquant des détails de son passé que j'imagine minime dans le lot de tout le bagage d'années qu'il porte sur ses épaules. Un passé dont je ne l'entends pas forcément parler très souvent non plus. Il faut dire que s'il m'expliquait de façon si détaillée chaque fois qu'il a pu faire une bêtise comme celle de créer une arme capable de vaporiser le moindre organisme vivant dans tout un système solaire... Je ne suis pas certain que j'arriverais à résister à l'envie de moi-même l'enfermer dans une cellule quelconque simplement pour garder un œil sur lui. Je me contente plutôt de le fixer de grands yeux, attendant qu'il affirme que cette chose ne se balade pas quelque part dans l'univers. Ce qu'il fit, m'expliquant le sacrifice qu'il était prêt à faire pour réparer cette erreur et sauver à son tour celui qui l'avait libéré. M'expliquant ce qui avait découlé de la destruction de cette armé, la destruction de la planète, l'emprisonnement forcé dans le Void par cette boîte de conserve à bonne conscience.

Je reste silencieux un moment, cherchant ce que je pourrais réellement répondre à tout ceci alors que mon esprit vacille entre 'danger' et 'mettre ma vie entre ses mains est la meilleure chose que je pourrai faire si un jour il y a une question de vie ou de mort' comme il y en avait déjà eu. On fait tous des erreurs, j'ai fait des erreurs, et sans ça comment peut-on réellement évoluer? « Vous n'avez pas peur, parfois, que votre besoin d'aider les autres vous mène à votre perte ou votre vie est-elle réellement, en quelque sorte, infinie? » J'observe les particules, les lignes que je vois sporadiquement contre sa peau... « Comment puis-je faire pour vous en sortir? Disons que nous sommes bien malchanceux et que la situation se présente à nouveau. »

Il cogite. Il s'inquiète. Je le vois. Et je bois une gorgée de café pendant qu'il rassemble ses pensées. La dernière gorgée de café. Je ne lui raconte pas une simple histoire, j'en ai conscience. Celle-ci a du poids. Beaucoup. Et elle n'a vraiment rien de simple. Elle transporte mon sentiment de culpabilité, ainsi que les cauchemars que je fais encore. Le néant. La noirceur qui m'oppresse. Qui m'attrape et m'emporte. Les sables mouvants cosmiques de l'entre-univers dans lesquels je suffoque. - Vous n'avez pas peur, parfois, que votre besoin d'aider les autres vous mène à votre perte ou votre vie est-elle réellement, en quelque sorte, infinie? - Je lève la tête vers lui. Lui, son regard accroche l'une des lignes noires qui court sous ma peau. - Comment puis-je faire pour vous en sortir? Disons que nous sommes bien malchanceux et que la situation se présente à nouveau.

Un fin sourire étire mes lèvres. Une certaine gratitude mêlée de... fierté? Gêne? Je dépose la tasse sur le plan de travail. - Si la même chose se passait à nouveau, tu ne pourrais rien y faire. Tu ne pourrais pas l'empêcher, et moi non plus. Le Void m'attire. Je suis une goutte d'eau en dehors de l'océan. Comme des éclaboussures qui se rassemblent si tu les rapproches. - Tout en parlant, je décide de plier mes affaires. J'ai fini, de toute façon. - Je peux en sortir par moi-même. Ça me demande juste... un certain temps pour le faire. Et le temps se déroule différemment, là-bas. Donc tu n'en aurais pas forcément conscience. - L'assiette et les couverts finissent dans l'évier. La tasse aussi. - L'autre option c'est de contacter mon frère pour qu'il utilise ce TARDIS et vienne me chercher, mais c'est paradoxalement la solution la moins fiable.

Le néant est infini, littéralement. Il est vide. Le vide. Et le vide n'a ni coordonnée, ni début ni fin. Me retrouver, la première fois, leur a pris des mois de recherches aléatoires. De chance. De... Je ne sais même pas comment il s'y est pris. Je sais que lorsque ma belle cabine rouge est apparue au cœur du Void, elle était pilotée par mon frère et une autre personne que je n'ai pas eu l'occasion de connaitre.
La vaisselle entassée, je reviens vers Spencer. - Je ne suis pas infini. Je ne suis pas immortel. Je vis seulement plus longtemps et j'ai mes tours de passe-passe pour éviter le pire. Au moins un temps. - Face à lui, j'attrape ses épaules. - Céder à la peur est une erreur que j'ai déjà trop faite par le passé. Fuir devant le danger. Observer les conséquences de mon inaction... - Mon regard dérive un instant, mais je le recentre rapidement sur lui avant de le lâcher. - Je préfère risquer ma vie pour lui donner un sens, plutôt que voir les mondes brûler jusqu'à la fin de mon éternité.

'Tu ne pourrais rien y faire', des mots que j'ai toujours eu bien du mal à assimiler et auxquels j'ai pourtant été confronté plus d'une fois. Sans doute est-ce la raison pour laquelle je les détestes à l'excès ces mots prétextant que peu importe ce que je voudrais faire, peu importe la volonté que je pourrais placer dans la réalisation d'un certain acte, une situation sera toujours vouée à l'échec. Chose que je n'ai jamais particulièrement apprécié. Sans doute en partie parce qu'échec ne doit pas faire parti de mon vocabulaire compte tenu du chemin que j'ai décidé d'emprunter dans ma vie, les échecs entrainant bien souvent la mort dans le domaine. Et mort je l'ai cru l'être lorsque je l'ai vu se faire aspirer par cette chose. Toujours ce même enjeu qui ne cesse de revenir et me pousse à me surpasser encore et encore pour que le malheureux événement de la première année ne se produise pas à nouveau, pas sous ma garde. Je me frotte le menton du bout des doigts, notant tout de même que son frère serait potentiellement en mesure de l'en sortir si vraiment il y a urgence. Pas que je sache comment le trouver, mais le Tardis pourra sans doute m'aider... ou me crasher de nouveau dans cet endroit où j'aspire fortement ne pas retourner. Difficile de le savoir pour moi qui suis encore, malgré tout, novice en ce qui concerne les si larges capacités du moyen de transport de prédilection du Professeur.

Je l'observe ranger ses couverts, haussant un sourcil et observant les mains qu'il en vient à placer sur mes épaules avant de reporter mon regard sur lui. Et bien, voilà quelconque chose de peu commun. « Bien de savoir que vous n'avez pas perdu votre âme suicidaire et que non vous n'êtes pas immortel alors. Nous devrons nous en contenter. » Que je répond finalement à sa tirade plus sérieuse que la mienne. Sans doute est-ce ça vivre dans le déni, bien que j'aille enregistré en mon esprit le moindre mot venant tout juste de sortir de sa bouche. « Reposez-vous au moins un peu avant la prochaine aventure d'accord? Il nous faudra, à tous les deux, bien de l'énergie pour arriver à faire face au danger. » Et tout risquer au passage. Je crois avoir plus que fait mes preuves en ma capacité de le faire tout autant que lui.

Bien de savoir que vous n'avez pas perdu votre âme suicidaire et que non vous n'êtes pas immortel alors. Nous devrons nous en contenter. - Un sourire satisfait passe sur mes lèvres. Commence-t-il à accepter l'idée que ma survie n'est pas en totalité sous son contrôle? Commence-t-il à réaliser que le changement n'est pas nécessairement mauvais? Une conversation pour un autre jour, peut-être. Mais pas pour aujourd'hui. - Reposez-vous au moins un peu avant la prochaine aventure d'accord? Il nous faudra, à tous les deux, bien de l'énergie pour arriver à faire face au danger. - Oh, rassure-toi. Je ne compte pas sauter dans la premier bataille qui passe. Je suis loin d'être en état. - C'est la réalité. J'ai l'air fonctionnel, mais je suis toujours frigorifié. Ma peau est toujours particulièrement pâle, parcourue de ces lignes noires. Mes jambes me portent alors que je monte les escaliers, mais elles peuvent céder à tout instant.

Mourir dans le VOID, est-ce seulement possible? L'éternité elle-même a une éternité. Ou pas la moindre seconde. Être ici, et pas là-bas, est ce qui m'affaiblit. Un processus, comme la désintoxication d'une drogue à base d’inexistence. Et d'une certaine manière, j'en ressens encore l'attrait. Le besoin. L'envie superficielle. Comment la combattre? Patienter et dormir? J'ai assez dormir. - Tu sais quoi? - Dis-je en arrivant en haut, me retournant, appuyé à la rambarde pour le trouver du regard. - Tu as raison. Il me faut du repos, et c'est pas en restant dans un coin de la bibliothèque que je vais me détendre. - Un instant, mon regard dérive vers le soleil artificiel du potager, et je me redresse. Fais volte face. - On va au SPA! - Solar Palace of Amenta. Même acronyme, différentes significations. Ça reste un institut de soin, sous la forme d'une luxueux palais à proximité d'une jeune étoile. Peignoirs et maillots de bain sont les tenues réglementaires, mais à base de lumière solaire. Le meilleur moyen de faire le pleine de vitamine D et bouter les résidus du néant de mon corps.