Le flot d'endorphine et d'informations nouvelles lui faisait tourner la tête. Depuis la veille, tout s'était enchaîné, sans presque aucune interruption. À l'anomalie temporelle et le concept d'une technologie qui soit à l'origine de celle-ci s'était ajouté l'idée que le Professeur n'était pas de ce monde, qu'il était en possession d'un vaisseau en mesure de voyager dans le temps aussi bien que dans l'espace, et que ce dernier était visiblement conscient, ou vivant, ou quel que soit le terme approprié. Et maintenant... Maintenant on lui offrait la possibilité de découvrir l'univers, littéralement, et s'il était suffisamment intelligent pour décrypter les paroles du professeurs, derrière la porte, à l'heure actuelle, se trouvait autre chose que la rue de Camden qu'ils venaient de quitter.

- Okay, juste... Une minute. J'ai besoin de respirer un coup.

Il s'approcha du sofa à proximité, se laissa tomber dessus, le temps d'effectivement souffler, de calmer les battements de son cœur et de se donner le temps de ralentir, de mettre de l'ordre dans ses idées.

- So... Bigger on the inside. Alive. Travels in time and Space. Does he have a name? Do you have a name? And... Why me? You said you wanted to keep an eye on me, but you didn't have to offer me to travel with you. Not that I complain, it's totally fine. More than fine. But... You know.

Un soupir. Il se passa les mains sur le visage. Les battements de son cœur commençait à se calmer, il reprenait peu à peu pieds.

- I just need answers before I cross these doors and get any further into whatever adventure you're getting me in.

- No, you didn't make a clear proposal, but then you asked me what I thought of the space and everything beyond earth. And when I asked if you were offering, you just told me to step outside the door. So that was a deduction. You didn't clearly offer anything, but I can read between lines.

Le Professeur s'était accroupi face à lui, de sorte à capter son attention, et les phrases qui suivirent furent destinées à le mettre en garde contre les dangers potentiels que représentait la possibilité de voyager à travers l'univers. Peut être était-ce légèrement plus dangereux que ce à quoi on s'exposait sur Terre, quand bien même un accident était vite arrivé, mais une opportunité de ce type, il n'en aurait peut être qu'une dans toute sa vie, et il n'avait aucune intention de la laisser passer.

- So what do you say?

Pas de réponse concrète à formuler dans l'immédiat. Il se contenta de se relever du canapé et de se tourner vers la porte. Un dernier instant de réflexion, juste une demie seconde, et il quitta la plateforme centrale, rejoignant en quelques pas la passerelle qui menait vers la sortie. Il s'arrêta une dernière fois juste devant la porte, imitation presque parfaite de celle d'une cabine téléphonique londonienne, jeta un regard derrière lui, en direction du Professeur, toujours debout près de la console, posa sa main sur la poignée.

- Count me in.

Premier réflexe à la vue de l'étendue lunaire : bloquer sa respiration. Geste idiot qui ne l'aurait pas sauvé s'il y avait eu un réel danger. Il aurait été aspiré par le vide quoi qu'il en soit, et serait probablement mort sur le coup. Atmosphère respirable, donc... Il était à supposer que le TARDIS y était pour quelque chose, autant ne pas s'attarder sur les pensées morbides.
Deuxième réflexe : rester planté là, les lèvres entrouvertes, à fixer les kilomètres de poussière grisâtre qui se déroulaient jusqu'à un horizon arrondi, avant de céder leur place au vide de l'espace, au centre duquel flottait la Terre. Ronde. Bleue. Une moitié de sa surface plongée dans l'obscurité et piquetée des lumières de la civilisation. Le genre de vue habituellement réservée aux films ou aux livres d'histoire. Et il pouvait en cet instant précis en profiter physiquement, pas au travers d'un écran ou d'une photographie sur papier glacé.

Il resta encore un peu dans l'encadrement de la porte, immobile, à contempler le décor en silence, avant de se fendre d'un pas, hésitant, quittant les murs  et le sol rassurants du TARDIS pour le vide des plaines offertes par la Lune, et son sol poussiéreux que vinrent marquer les empruntes de ses deux pieds. La sensation lui tira un sourire, qui s'élargit alors qu'il se retournait vers l'intérieur de la cabine téléphonique, vers le Professeur.

- I'm barefoot. On the Moon.

Un éclat de rire incrédule franchit ses lèvres, et il pivota à nouveau pour faire face au décor, son attention se reportant sur les vaisseaux spatiaux qui défilaient lentement au-dessus d'eux, profitant des explications de circonstances offertes par le Professeur. Le son de l'UNS Cook passant en hypervitesse le fit à peine sursauter, tout absorbé qu'il était par l'expérience nouvelle, la vue de l'espace, la Terre vue de plus loin encore que le ciel, la flottille titanesque au dessus d'eux, et la simple sensation du sable lunaire entre ses orteils. Il se sentait simplement heureux d'avoir cette chance, plus qu'il ne l'avait été au cours des dernières années, peut être même de sa vie entière.

Nouveau regard en direction de celui qui l'avait amené ici, même s'il ne s'agissait au départ que d'un accident.

- It's great. More than great actually. Frigging awesome even. Thanks. You wouldn't happen to have shoes though? Is much as I love the idea of walking barefoot on the moon, the ground isn't exactly warm out there...

Les deux pastilles collées sur ses cheville, en suivant les instructions qu'on lui avait donné, sa peau fut rapidement isolée du froid, alors qu'une paire de basket basique se matérialisait autour de chacun de ses pieds. Il récupéra ensuite la  veste que lui tendait le Professeur, l'enfilant par dessus le t-shirt dans lequel il flottait malgré sa grande taille. Tant pis pour le style.

Au dessus d'eux, un deuxième vaisseau commença à accélérer. Ses yeux eurent le temps de déchiffrer le nom de l'UNS Zheng He avant que la lumière des réacteurs ne s'amplifie soudainement, et que le même bruit de bris de verre qui avait résonné plus tôt ne retentisse une nouvelle fois, amenant le bâtiment à disparaître de la même manière que son prédécesseur.

- Dites, je suppose que c'est grâce à vous qu'on respire. C'est un genre de champ de force qui créé une bulle d'air ?.. Il s'étend jusqu'où ?

Une idée venait de germer dans son esprit, mais il préférait s'assurer de ne pas risquer d'y laisser sa peau avant de tenter quoi que ce soit.

- Et autrement, vous parliez de l'époque où vous êtes arrivé sur Terre, avant qu'on sache pour la vie extra-terrestre... Donc je suppose avant les années 2000 ? Qu'est-ce qui vous a amené à venir ici ?

Cinq mètres. Trop risqué pour le saut en longueur. Il se contenta donc de tester le manque de gravité d'un bond sur place, s'élevant tout de même à quelques dizaines de centimètres du sol, un sourire de gosse étirant ses lèvres à la sensation, tout en écoutant la réponse à sa deuxième question.

- Faut dire que y avait de quoi vouloir rester dans le déni... Les premières rencontres ont pas été évidentes. On était beaucoup à croire à l'existence d'une vie extra-terrestre sans croire qu'on la rencontrerait un jour.

Il haussa les épaules, faisant encore quelques pas autour du TARDIS pour tester la sensation de légèreté propre au planétoïde, avant de revenir vers le Professeur. Et vint l'explication de l'arrivée de celui-ci sur Terre. Le hasard, finalement. Une planète choisie aléatoirement pour se cacher d'une quelconque menace... De quoi se questionner sur l'issue qu'aurait eu l'incident du générateur de nœuds si la TARDIS avait atterrit ailleurs... Il serait peut être resté éternellement coincé dans ces septs interminables minutes. Avec des "si"... Impossible de savoir.

- Et du coup... Vous venez d'où. Vous avez dit passé, par rapport à... Mon époque...

Un coup d’œil vers les vaisseaux qui continuaient de disparaître, lentement, l'un après l'autre, comme pour se rappeler à lui même qu'ils étaient pour le moment dans le futur. Il peinait toujours à y croire totalement, malgré la preuve apportée par ces titans de métal décidés à partir à la conquête du cosmos.

- Mais pour ce qui est de la planète ?

Sujet tendu, au vu de l'expression de son vis-à-vis, et bien vite écarté au profit d'un autre. Il n'insista pas, reportant son attention sur l'UNS Cortés que lui indiquait le Professeur. Problème de frein à main... Comme quoi certaines choses ne changeaient jamais. L'idée le fit sourire, et il acquiesça à la proposition d'aller voir de plus près, suivant le Professeur dans le TARDIS et refermant la porte derrière eux. Il resta près de celle-ci, alors que le propriétaire de l'appareil rejoignait la console, et l'intérieur de la cabine ne tarda pas à se mettre à vibrer légèrement, comme lorsqu'ils avaient quitté Londres, l'air autour d'eux résonnant de ce son de soufflerie indescriptible, apparemment caractéristique du TARDIS en vol.

Nouveau son sourd, et retour au calme. Annonçant qu'ils s'étaient posés. Adam attendit que le Professeur lui indique qu'il pouvait sortir pour à nouveau franchir la porte. Le couloir qui s'offrit à sa vue confirma ce qu'il avait déjà suspecté, le TARDIS ne devait pas vraiment voler, mais plus avoir recours à une sorte de procédé de téléportation, il voyait autrement difficilement comment ils auraient pu traverser les épaisses parois de métal qui entouraient désormais la cabine téléphonique. Et c'était après tout assez logique, en partant du principe qu'il s'agissait aussi d'une machine à voyager dans le temps. Disparaître d'un endroit et réapparaître à un autre semblait la solution la plus logique en combinant les deux aspects, voyage dans le temps et dans l'espace.
Mettant sa réflexion de côté, il fit à nouveau un petit saut sur place, pour tester le changement de gravité, et un moue déçue vint déformer ses lèvres en réalisant que l'on été bien plus proche de la pesanteur terrestre que de celle de la lune. Question de praticité dans le choix, sans doute... Pour le reste...

- Human spaceship. That's crazy. I'm almost three hundred years in the future on a space ship made by humans to travel the stars.

L'architecture était bien différente de celle du TARDIS, plus brute, primitive sans doute. Mais savoir que le Cortés venait de sa planète conférait à l'ensemble un charme particulier. Sa main vint cogner contre un pan de métal qui constituait une bonne partie d'un mur, tirant un son sourd qui laissait à penser que derrière le panneau devait courir des conduites.

- I love it.

Il avança un peu dans le couloir, jetant des coups d’œil aux alentours, avide de voir quelles surprises un vaisseau de cette taille pouvait réserver.

- Okay, two questions. First: it safe to be here? What if we run into somebody? And two: where's the best place to watch the hyperspeed jump?

- Tiens toi bien droit.

Il haussa un sourcil interrogateur en direction du Professeur, puis avisa le militaire qui montait la garde près de la porte, et carra rapidement les épaules tout en relevant la tête, semblant deviner ce que son guide avait en tête. Le plus dur fut de conserver un visage neutre pendant que le garde se faisait réprimander par le Professeur, qui n'avait probablement rien du Grade mentionné en brandissant ses papiers. L'échange entre les deux autres hommes fut néanmoins rapide, et une fois la porte passée, il laissa le sourire moqueur qui le démangeait depuis déjà de longues secondes étirer ses lèvres. Le pauvre type avait été tellement pris de cours qu'il n'avait pas pu prendre une minute pour lui jeter un regard, qui lui aurait sans doute permis de remarquer son accoutrement qui n'avait absolument rien de militaire, les baskets et la veste prêtés par le Professeur offrant un contraste saisissant avec son t-shirt de deux tailles trop grand et le jogging usé et informe qu'il avait enfilé à la va-vite avant de partir... A croire qu'un ton sec couplé à un peu de charisme suffisait à ouvrir bien des portes, si l'on savait y faire.

- Lets not attract too much attention in here.

Son regard courrait déjà autour de la passerelle, et il se contenta de répondre d'un hochement de tête. Il n'avait pas l'intention de se faire remarquer plus que de nécessaire, inutile en plus du reste des événements récents d'ajouter une incarcération pour cause d'intrusion dans une zone à accès restreint.

Le Capitaine ordonna le départ, et le bruit des moteurs monta crescendo, annonçant probablement qu'il s'apprêtaient à sauter en hypervitesse. Mais à l'instant où le navigateur tirait le levier censé achever de déclencher le processus, le son s'interrompit dans un grand bruit de métal.

- Capitaine, il semblerait qu'il y ait une anomalie au niveau de la soupape de l'hyperconducteur, elle s'est déclenchée automatiquement pour une raison inconnue, ce qui nous empêche de procéder au saut. Je lance un diagnostique.

La tension qui était montée à l'intérieur de la salle à l'idée du départ imminent était retombée bien vite, et le reste de l'équipage commença à s'impatienter alors que le dénommé Espinoza continuait de pianoter sur son terminal, cherchant frénétiquement la cause du problème sans voir que la solution se trouvait juste sous son nez. La Capitaine finit par quitter sa position, s'approchant de son subordonné pour jeter un œil  à la station de celui-ci.

- Espinoza?..

- Yes, Sir?

- The Handbrake.

- Oh, I uh... Sorry Sir, the thrill of the big jump and...

- Just set it off and start the jumping sequence again.

- Yes Sir. Sorry Sir.

Quelques rires étouffés résonnèrent de part et d'autre de la passerelle, alors qu'Espinoza s'activait à corriger son erreur, le visage empourpré par la honte. Rapidement, le son de chargement des moteurs se fit à nouveau entendre, partant d'une note basse faisant vibre l'air, et montant crescendo jusqu'à atteindre une note bien plus aiguë.

- Hyperspeed ready. Coordinates verified. Route set. Jumping in 3....2....1....

Cette fois pas de claquement métalique, mais de nouveau ce bruit semblable à un gigantesque bris de verre. Les parois du vaisseau semblèrent se distendre un instant, comme s'allongeant sous l'effet d'un changement de focale, et il eut la sensation qu'un crochet fixé au niveau de son estomac le tirait vers l'arrière. De l'autre côté de l'immense vitre qui marquait l'avant de la passerelle, les étoiles semblèrent redoubler d'intensité, avant que leur lumière ne s'étire soudainement en ellipse autour d'eux, formant une sorte de tunnel de rais de lumière qui se mirent à défiler à une vitesse ahurissante. Ils étaient partis. L'un des premiers vaisseaux de colonisation de l'espèce humaine, lancé depuis la Terre venait de quitter l'orbite de celle-ci, filant à travers l'espace vers une destination dont il ignorait tout. Et il était témoins de ce départ, près de trois-cents ans après sa propre naissance, à une époque où il n'aurait pas dû pouvoir se trouver. Sans quitter des yeux l'image fascinante des astres qui continuaient de défiler devant eux, il tourna légèrement la tête en direction du Professeur, s'adressant à lui en chuchotant pour ne pas attirer l'attention sur eux.

- So... I know you didn't exactly choose to take me here, but thank you. For allowing me to see this.

Il quitta cette fois la vue panoramique du regard, venant planter ses yeux dans ceux du Professeur, pour lui communiquer la sincérité de ses paroles, un sourire de gosse le jour de noël accroché aux lèvres.

Pour la première fois depuis longtemps, depuis les quelques années qui avaient suivi son adoption peut être, il sentait que sa vie prenait un tournant intéressant, et peut être même décisif.